Moro rêve d’un jardin dans lequel il pourra cultiver à tout moment
La région naturelle de la Casamance, au sud du Sénégal, à des centaines de kilomètres de la capitale Dakar et des terres arides du nord, n’est qu’à un jet de pierre de la Guinée-Bissau et de la Gambie, où les paysages tropicaux, les prairies alternent avec les palmiers et les oiseaux colorés qui survolent le ciel.
Par une fraîche matinée de février, alors que le soleil n’est pas encore totalement levé, Moro Mané se promène dans la plantation familiale, il montre fièrement le fruit de son travail. Sur un hectare, des variétés de mangues, d’oranges et d’autres agrumes poussent entre des bandes d’oignons, de tomates et de poivrons qui fleurissent sur le sol. À côté des plantations, Moro construit un poulailler.
Le jeune homme de 33 ans a de grands projets ; il veut mettre en place une ferme intégrée sur deux fois la superficie des terres de sa famille. Il prévoit de créer une ferme avec intégration agroforestière, qui comprend la plantation ainsi que le greffage de ses fruits, le maraîchage des légumes et l’aviculture avec la production de poulets.
Influencé par ses pairs, il a quitté le Sénégal pour aller en Europe au printemps 2017. Photo : OIM 2022/Alpha Ba
Moro Mané n’a pas toujours été aussi enthousiaste quant à son avenir à Diannah. Bien qu’ayant terminé ses études et travaillant comme pêcheur, soutenant sa mère dans ses activités agricoles et la vente des produits importés de Dakar, il a quitté le Sénégal pour aller en Europe au printemps 2017.
« Je me suis dit que peut-être je n’ai pas ma place ici, il faut que je parte. C’était l’époque où le fléau de la Libye a commencé. Mes amis partaient, et cela avait une grande influence sur moi. » Ses amis lui ont dit que tout irait bien, qu’il n’aurait pas de problèmes une fois arrivés en Italie. « Nous n’étions pas bien informés », dit-il. Sa mère essayait de le convaincre de rester, mais sa décision était prise. « Je ne me suis pas rendu compte du potentiel qu’il y avait ici avant de partir. C’est l’ignorance qui m’a poussé à partir ».
Lorsqu’il est rentré au Sénégal avec l’aide de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), Moro a suivi des séances de développement personnel et professionnel. L’aide à la réintégration offerte par l’OIM lui a permis d’acheter des matériaux pour construire un poulailler ainsi que des poussins, des abreuvoirs et des mangeoires.
Grâce à l’aide de l’OIM, il a appris l’agriculture intégrée et les techniques de culture qui respectent la préservation de l’environnement. Le travail se fait de manière cyclique : l’alternance entre les arbres fruitiers et la production de légumes favorise le processus de régénération du sol grâce à la décomposition des feuilles en humus, au stockage du dioxyde de carbone et à la libération d’oxygène par les plantes. Cela crée un microclimat propice à la production de légumes sensibles à la chaleur comme les tomates, les poivrons, les pommes de terre, etc.
Cette pratique constitue une forme de résilience face au changement climatique, à savoir l’augmentation des températures entraînant une baisse des rendements des cultures thermosensibles, la rareté des pluies ou l’irrégularité des saisons. Le fumier de volaille provenant du poulailler sera utilisé pour fertiliser les plantes. Grâce à cette méthode, rien ne reste, tout se transforme à la ferme.
Son expérience a montré à Moro une alternative à la migration irrégulière. Photo : OIM 2022/Alpha Ba
« Ma vie ! Maintenant, je dis “Dieu merci” ! Je n’envie personne », dit Moro aujourd’hui.
« Ici, malgré tout, j’ai tout ce que je veux. Après ma réintégration, j’ai construit le poulailler avec ma propre force. Maintenant, je peux élever et échanger des poulets. Pendant la saison des pluies, je fais aussi la culture de pastèques et de légumes. »
Les ambitions de Moro ne s’arrêtent pas là. « Je rêve d’un jardin où je pourrais faire de l’agriculture, de l’élevage, de la transformation et même - s’il est possible de faire de la pisciculture et même de l’apiculture - tout ! Un jardin où l’on peut cultiver à tout moment de l’année. »
Sa passion pour la nature est visible lorsqu’il parle de ses projets : « J’aime beaucoup la nature. Avant de partir, en travaillant avec ma mère dans l’agriculture, j’ai même proposé de faire de l’arboriculture ; de planter des arbres et notre branche est venue greffer et se vendre. » À terme, il aimerait approfondir cette voie et créer son propre verger. Il existe plus d’une dizaine de variétés d’oranges ; il y a la « marceline », le « tangelo », le « tolizo », le « ponkan », le « norvère », le « tonson », le « fanta orange », le « dombondir », etc. « Les gens qui viennent ici pendant la saison des pluies ; ils vont cueillir des fruits, on pèse au kilo, et ils transportent ça même en Europe. »
Son expérience du départ du Sénégal et de la création de son entreprise agricole a montré à Moro une alternative à la migration irrégulière. Les chiffres ne s’additionnent plus pour lui : « Tu travailles pour avoir 2 millions pour aller directement au Maroc et ensuite en Espagne où tu travailles peut-être pendant deux ans ou même un an pour avoir 1 million. En restant ici et en travaillant, je peux gagner encore plus. Je peux développer mon activité pour faire autre chose plutôt que de partir pour une aventure incertaine. »
Cet article a été écrit par Kim Winkler.