Survivants de la traite : Le défi de surmonter la stigmatisation et le rejet à leur retour
Photo : OIM 2022/Ultrashot
« Ce n'était pas facile. De tout recommencer. Ce n'était pas facile à l'époque, mais j'ai surmonté des choses comme ça, je vais bien. De mieux en mieux. »
Chinedu est assise devant sa machine à coudre, entourée de piles de tissus colorés et de rouleaux de fil. Elle termine les coutures d'une robe fleurie dans le petit atelier de couture situé dans un quartier commercial animé de Benin City, dans le sud du Nigéria.
Depuis six mois qu'elle travaille ici, elle s'est constitué une clientèle et est en train d'éponger les dettes accumulées en 2018, lorsqu'elle a été trompée par la promesse d’un meilleur travail et d’un mariage.
Chinedu* était déterminée à partir et a été prise au dépourvu par l'homme qui s'est fait passer pour son petit ami, lui promettant une vie de couple avec lui en Allemagne. Tout ce qu'elle avait à faire était de monter dans un bus et de suivre les instructions des « intermédiaires ». Au lieu de l'emmener « directement en Allemagne » comme on lui avait fait croire, Chinedu a été conduite en Libye où le trafiquant a menacé de la vendre si elle ne payait pas.
« J'ai appelé le soi-disant petit ami et lui ai dit : ‘Regarde ce que je subis’, mais c'était la fin pour nous deux ; je n'ai plus jamais entendu parler de lui », se souvient Chinedu.
Contrainte par ses trafiquants de payer pour éviter d'être vendue, Chinedu a demandé de l'aide à sa mère.
« Elle m'a envoyé 90 000 nairas (un peu plus de 200 dollars) à ce moment-là, et je l'ai envoyé au [trafiquant]. Après avoir reçu l'argent, il ne m'a pas libérée, il m'a emmenée à Tripoli », où Chinedu a été hébergée avec d'autres travailleuses du sexe forcées.
Pendant un an et demi, elle a été retenue contre son gré et forcée à se prostituer en Libye avant de réussir à s'échapper et de se retrouver dans un centre de détention après avoir été interceptée par les autorités libyennes en Méditerranée.
Chinedu est l'une des nombreuses victimes de la traite. Les jeunes femmes et les enfants sont particulièrement visés au Nigéria, où plus de huit personnes sur dix (83 pour cent) parmi les 1 470 victimes de traite secourues en 2021 étaient une femme, selon les données de son Agence nationale pour l'interdiction de la traite des personnes (NAPTIP).
Les trafiquants ciblent principalement les femmes. Tandis qu'il est plus facile pour les hommes de voyager par leurs propres moyens, les femmes comptent davantage sur des intermédiaires pour les aider à identifier les opportunités à l'étranger et à organiser le voyage. Le recrutement de ces jeunes femmes destinées à devenir des travailleuses du sexe forcées se fait souvent en exploitant leurs croyances religieuses et culturelles. Des malédictions, ou « juju », sont utilisées pour lier les femmes à leur trafiquant, afin de s'assurer qu'elles ne s'enfuient pas ou ne tentent pas de les dénoncer.
« Il y a une forte croyance dans les traditions et la culture du pays, et les trafiquants s'en servent pour manipuler ces victimes en leur faisant prêter serment juste avant de quitter le pays. Les victimes sont amenées à s’infliger elles-mêmes de nombreuses malédictions », explique Ayo Amen Ediae, chargée de la lutte contre la traite des êtres humains à l'OIM à Benin City. « Si elles arrivent en Europe ou dans n'importe quel pays, quels que soient les difficultés, elles ne peuvent pas s'enfuir dès qu'elles se souviennent de ces malédictions ou des serments qu'elles ont faits avant de quitter leur pays. Ces trafiquants sont conscients de cela, et ils l'utilisent pour manipuler leurs victimes. »
C'est en Libye que Chinedu a rencontré le personnel de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui aide les migrants bloqués à retourner dans leur pays d'origine depuis les centres de détention pour migrants. « Un jour après être arrivé là-bas, j'ai rencontré un homme, il était de l'OIM, il nous a donné des papiers à remplir ; ils nous ont également apporté des vêtements, des chaussures, des médicaments à la prison. »
Chinedu a passé une semaine dans le centre de détention avant que l'OIM ne l'aide à rentrer au Nigéria où elle reconstruit sa vie.
Chinedu est retournée au Nigéria avec l'aide de l'OIM et s'est réinstallée comme couturière. Photo : OIM 2022/Ultrashot
Une étude du Pôle de gestion des connaissances de l'OIM a révélé que les difficultés psychologiques dues à des expériences négatives au cours de leur situation de traite, notamment la violence fondée sur le genre ou la prostitution forcée, constituaient un obstacle à la réintégration des femmes.
Repartir de zéro n'a pas été facile pour Chinedu.
« Je ne sortais pas ; j'étais toujours à l'intérieur. J'étais juste toute seule jusqu'à ce que j'arrive à me remettre de tout ça », décrit-elle de son état mental à son retour.
« J'avais honte. Revenir pour tout recommencer, ce que je pensais avoir fait avant, revenir pour tout refaire, ce que je fais maintenant, ce travail, j'avais déjà passé plus de deux ans à le faire avant de voyager en Libye, puis revenir pour le faire un an de plus, c'était comme si je revenais en arrière. Ce n'était pas facile. »
De nombreuses femmes interrogées dans le cadre de l'étude ont été confrontées à l'exclusion de la communauté et de leur famille. Chinedu a été accueillie avec colère et incompréhension lorsqu'elle est retournée dans sa maison familiale. Sa mère était en colère car elle l'avait prévenue de ne pas y aller. « Elle était contre ; c'est moi qui l'ai persuadée, qui l'ai forcée à accepter », dit Chinedu. « Maintenant, elle a gaspillé toutes ses économies, son argent et le reste, et je n'ai même pas pu aller en Europe. Ma jeune sœur se moquait de moi. »
Avec l'aide du programme d'aide au retour volontaire et à la réintégration de l'OIM, Chinedu a acheté une machine à coudre, a loué une boutique et s'est réinstallée comme couturière, ce qui lui permet de subvenir à ses besoins et de permettre à sa jeune sœur d'aller à l'école.
* Le nom a été modifié pour protéger son identité.
Cette histoire a été écrite par Kim Winkler, rédactrice pour l'OIM en Afrique de l'Ouest et Afrique centrale.