Libérer ses émotions à travers l’art : « je ne pensais pas que l’on pouvait s’exprimer comme ça »
Des pinceaux, des feutres, des crayons de couleur et des pots de peinture, ornent une table autour de laquelle sont réunis six migrants de retour, au Centre Social Abobo (Abidjan). Tous ont été conviés par l’OIM à exprimer leur émotion à travers l’art, dans le cadre de l’initiative conjointe UE-OIM pour la Protection et la Réintégration des migrants en Côte d’Ivoire.
Pour la plupart d’entre eux, cette séance d’expression artistique en groupe est une véritable découverte. Nadia*, une jeune femme passée par le Maroc, explique : « Je ne connaissais pas ce processus ». Suivie par l’OIM, depuis son retour en Côte d’Ivoire, Nadia prend part à des séances d’écoute et de conseils qui contribuent à la soulager : « L’OIM a mis à disposition deux personnes avec qui je parle de ma vie. Avant de les rencontrer, j’avais le moral à plat. Maintenant, cela va. Je ne dis pas que cela va totalement, mais cela va par rapport à avant. » C’est dans ce contexte, que Méliane Lorng, assistante protection à l’OIM, a proposé à Nadia de prendre part à cette activité.
Avant de démarrer la séance, Souad Khawand, psychologue à l’OIM a rappelé aux participants que la neutralité, l’impartialité et la confidentialité seraient respectées. Les explications et les premiers échanges ont permis de briser le silence et d’installer un climat propice à la discussion. Ainsi le motif du départ, le parcours migratoire, la perception du retour, l’interaction avec l’entourage ou encore l’état d’avancement des projets de réintégration professionnelle ont été abordés à travers l’art.
Dans une ambiance conviviale, chacun a pu laisser libre cours à sa créativité tout en suivant le fil conducteur déroulé par la psychologue. Photo : OIM 2022/Mohamed Aly DIABATÉ
Comme l’explique Émilie Sepulchre, experte en Santé Mentale et Soutien Psychosociale à l’OIM : « Ces ateliers d’expressions à travers des médias artistiques ont pour objectif d’enclencher un processus créateur et thérapeutique chez les migrants, guidé par les mots des animateurs et ouvrent de nouvelles perspectives sur leur histoire passée, présente et future. »
C’est le cas pour Aminata, une jeune mère de famille qui a eu le sentiment de pouvoir libérer ses émotions de manière différente, grâce à cette activité : « Lorsqu’on m’a demandé d’exprimer mes sentiments, au début, je ne savais pas quoi dessiner et j’ai eu l’idée de dessiner ce que j’avais vécu avec mes enfants en Tunisie. J’ai dessiné ce qui s’est réellement passé et ce qui m’a vraiment touchée. Cela m’a fait du bien d’exprimer mes émotions cachées, que je n’arrivais pas à dire, car c’est une honte de le dire aux gens. »
Le sentiment de honte et d’échec, pèse sur nombre de migrants de retour. Après avoir passé plusieurs années au Maghreb, Ibrahima a fait le choix de rentrer en Côte d’Ivoire. Si le jeune homme affirme « remercier le bon Dieu d’être chez lui », il doit aussi composer avec des sentiments mitigés : « J’ai honte d’être rentré alors que mes amis sont partis. »
La séance rythmée par des temps de parole et d’échanges profonds dans un climat de bienveillance, a duré trois heures. Les participants sont repartis avec des recommandations concrètes pour prendre soin d’eux et améliorer leur estime personnelle. Tous, étaient particulièrement soulagés d’avoir trouvé une oreille attentive pour exprimer des sentiments que les mots ne suffisaient plus à décrire.
L’enjeu de cette séance était également de stimuler le courage, la motivation et la résilience des participants. Photo : OIM 2022/Mohamed Aly DIABATÉ
Malgré l’émotion, Aminata est repartie revigorée par ces échange : « Avant de rentrer dans cette salle, j’avais un peu ce sentiment d’échec. Maintenant, je suis victorieuse. Quitter la Tunisie, pour revenir, c’est déjà un combat gagné donc j’avance la tête haute. » De même, l’engouement de Nadia à l’issue de la séance, illustre quant à lui, parfaitement le pouvoir de l’art-thérapie : « L’activité était vraiment géniale. Je ne pensais pas que l’on pouvait s’exprimer comme cela. J’ai vu qu’on pouvait soigner autrement qu’en parlant ».
*Des pseudonymes ont été utilisés afin de protéger l’identité des migrants de retour.